Chef de mission pour Médecins Sans Frontières (MSF) Hollande au Soudan, Jean-Nicolas Dangelser est diplômé Bioforce de la formation Responsable de l’environnement de travail et de la logistique humanitaire. Fort de son expérience sur les épidémies d’Ebola et de choléra en République Démocratique du Congo ou en Centrafrique, il est aujourd’hui un des acteurs de la réponse au COVID-19 au Soudan où MSF a contribué au lancement d’une formation et de sensibilisation des personnels de santé.

Nous l’avons joint hier dans les locaux de la mission MSF à Khartoum pour quelques questions.

Jean-Nicolas Dangelser

Est-ce que MSF t’a envoyé au Soudan spécifiquement pour répondre à la crise du coronavirus ?

Non, mon départ pour le Soudan n’était pas lié à une situation d’urgence. Mais depuis qu’on s’est engagé sur le COVID-19, on dort moins qu’avant ! Le Soudan sort de 30 ans de dictature et le pays a beaucoup de mal à se relever économiquement. Les chiffres sont à prendre avec précaution mais on estime que l’inflation aurait grimpé de 64% en janvier. Il y a de nombreuses ruptures de biens de base comme la farine ou encore le fuel.

Depuis que le Soudan du Sud a fait sécession, le pays ne dispose plus que d’un quart des champs de pétrole qu’il contrôlait auparavant et on assiste de toute manière à une chute du prix du baril depuis le début de la crise COVID19. Malgré cela, l’essence coûte toujours trop cher pour les populations qui subissent de nombreuses coupures d’électricité et n’ont pas les moyens d’acheter du fioul pour les générateurs. L’autre richesse du Soudan, c’est ses mines d’or , mais ce commerce est aussi à l’arrêt depuis le début de la crise liée à la pandémie. Les gens passent 4 à 5h dans les files d’attente pour avoir de l’essence, et c’est pareil pour le pain.

La situation empire avec le Covid-19 : il y a eu des velléités de manifestations vite empêchées par l’armée, présente immédiatement dans les rues. Il n’y a pas de confinement mais le pays est en lock down, les frontières sont fermées, ce n’est pas évident.

 

Comment les gens se sentent face à cette épidémie ?

Certains pensent que l’Afrique sera moins impactée par le nouveau coronavirus parce que la population sur le continent est plus jeune et que le virus est moins virulent auprès d’eux, mais au Soudan (comme dans beaucoup d’autres pays du continent), cette population est aussi plus à risque. On estime que cinq millions de gens sont en crise aigüe de sécurité alimentaire. La progression du virus sur le continent s’accélère et ici, fin avril, la saison des pluies engendrent chaque année inondations, crises de dengue, de choléra et de paludisme.

Ajoute à cela le COVID-19 et on sera dans une situation terrible, alors que le pays ne compte que très peu de lits de soins intensifs et d’hospitalisation par habitant de manière générale.

 

Quelle a été ta réaction et celle de MSF lorsque les premiers cas ont touché l’Afrique ?

Après le premier cas déclaré de coronavirus dans le pays, nous sommes allés à la rencontre du ministre de la Santé pour lui proposer notre aide ainsi que l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), et leurs premiers retours nous ont montré que la formation était un besoin criant et urgent. Pour gérer la prévention et le contrôle des infections, nous devions assurer d’abord des actions de formation et de sensibilisation, comme mettre en œuvre le triage, le nettoyage, le port rationnel des équipements de protection individuelle pour essayer de stopper la chaîne de transmission et faire adopter les gestes barrière.

Par la suite, d’autres acteurs comme le SEPA, l’association soudanaise des médecins urgentistes, avec l’OMS et le ministère de la Santé, prévoient d’autres formations sur la prise en charge des patients et la décontamination des ambulances par exemple. Pour ce projet, on a travaillé avec toutes les parties prenantes : les sections MSF présentes dans le pays, l’OMS, mais aussi bien sûr la structure fédérale et provinciale du ministère de la Santé soudanaise et les associations de médecins urgentistes. La formation de formateurs s’adressait à 100 personnels de santé des 30 plus grands hôpitaux du pays : 20 hôpitaux publics, 2 centres d’isolation pour les cas suspects et confirmés de COVID-19, 8 hôpitaux privés, ainsi que du personnel du ministère de la Santé.

Ces 100 personnes formées vont à leur tour former leurs équipes avec l’appui des différents acteurs ayant pris part à la partie théorique de la formation. La semaine prochaine, une nouvelle formation aura lieu avec les autres hôpitaux.

 

En quoi consistait cette formation ?

Nous avons réalisé deux jours de formation théorique auprès des soignants et cadres de santé : il s’agissait de cours magistraux, d’études de cas et d’ateliers. Ces deux jours ont été suivis par une journée où nos intervenants ont accompagné les personnes formées dans la démarche d’implémentation des connaissances acquises dans leurs hôpitaux auprès des personnels.

Cette formation leur explique l’importance de créer une signalétique afin de clarifier le flux des équipes et des patients, du suivi des protocoles de nettoyage et de port des équipements de protection individuelle appropriés. Surtout cela permet de faire une analyse de la structure elle-même et faire des remontées aux autorités sanitaires.

 

Est-ce que cette action suffira ?

Collectivement, nous sommes tout à fait conscients de nos limites et il faut rester très humble sur la portée de nos actions : ça n’arrêtera pas la crise, c’est sûr, mais nous allons faire tout ce que nous pourrons. Surtout nous avons formé les soignants à se protéger. Le premier cas de COVID-19 a engendré une grosse panique parmi les personnels de santé et l’absentéisme a fortement augmenté parce qu’ils ne se sentaient pas suffisamment préparés. En trois jours de formation, nous avons vu la confiance revenir.

Avoir fait Bioforce m’a permis de me donner les réflexes et les compétences pour me rendre le plus utile possible, même dans ce genre de situation.

 


A LIRE : « Soudan: MSF forme des médecins à faire face au coronavirus » sur le site de RFI